Quel rapport avez vous avec le textile en règle générale ?
Le textile est une matière d’une extrême sensualité. Je pourrais dire qu’en mode, j’habille l’extérieur des gens et en déco, l’intérieur. Si d’un côté, on touche à l’enveloppe, de l’autre, on s’attache à créer une atmosphère. Il n’y a pas de dichotomie entre les deux secteurs car le textile s’appréhende dans sa globalité au toucher, au volume et à la couleur. J’aime le côté vivant de la mode qui invite au mouvement. Si la décoration me semble plus statique, j’aime à la penser dans le prisme de cette sensibilité connexe.
Dans la décoration, comment mettez vous les tissus en scène ?
Il ne faut pas se restreindre, il faut donner du champ aux textiles et leur inventer de nouveaux territoires. Dans l’hôtellerie bien sûr, il importe de répondre aux normes de sécurité et d’exploitation ce qui limite à une approche classique : rideaux, jetés de lit, sièges, têtes de lit, etc. Mais chez soi, comme on habille murs et plafonds, on peut imager en recouvrir des portes de placards, des meubles, etc. Partant du principe qu’il s’agit d’une matière au même titre que le bois ou autre, cela change l’angle et la perception que l’on s’en fait !
Quel rôle le textile doit-il occuper ?
On est avant tout dans le registre du confort, et par extension du confort visuel. C’est lié au côté généreux du tissu. Prenez une chambre par exemple, le premier regard est souvent porté par la lumière, celle des fenêtres et de leur habillage. Le volume des rideaux insuffle l’idée d’un cocon. Dans la nouvelle aile de l’hôtel de « La belle Juliette », certaines chambres sont fermées par des panneaux de bois, c’est certes un parti-pris stylistique mais l’impression n’est pas du tout la même !
En termes de design, qu’est-ce qui oriente votre choix : unis, matières, couleurs… ?
Mes choix se font en fonction de l’histoire que j’ai envie de raconter, en cohérence avec le lieu et le bâtiment. L’harmonie résulte de plusieurs facteurs dans le mélange des matériaux, du mobilier, des objets. Le tissu n’est pas en soi un facteur déclencheur du décor, il y participe. Par ma part, j’aime confronter les matières entre elles : le rapport d’un velours avec un béton brut, d’un taffetas chatoyant confronté à un cadre contemporain. Une fois de plus, c’est la matière textile qui m’intéresse, son côté granité, reliefé, soyeux, coloré… qui accroche la lumière, génère des effets, décale le style.
Avez vous une matière de prédilection ?
Etant à 70 % dans la mode, je suis aussi versatile qu’elle ! Je suis sensible à la saisonnalité, au détournement, à la création en règle générale mais surtout, je suis le fil de mes envies. Je peux aimer un voile de lin, un satin très dur, un tweed magnifique, une feutrine ou du velours. Mais ce que j’aime par dessus tout dans le textile, c’est la diversité de ses matières, de ses gammes de couleurs et le travail du tissage. Le tissu est générateur d’ambiances et de sensations. Ses jeux de matières et de couleurs sont à l’égale des autres matériaux et ce qui m’intéresse, c’est tout aussi bien de les mettre en harmonie que de créer des chocs de style.
L’hôtel de la Belle Juliette se compose d’un bâtiment classique côté rue, « La Vie Parisienne », et d’une aile contemporaine côté jardin, « L’Abbaye-aux-Bois ». La décoratrice Anne Gelbard a travaillé chaque étage suivant une thématique de la vie de Juliette Récamier. Cette chambre douce et féminine évoque son amitié avec Madame De Staël. Une variation autour du style Empire, remplie de poésie et d’humour.
Dans l’évocation « des Causeries », cette chambre qui évoque les salons littéraires, confronte couleurs et textiles dans un esprit graphique. Hôtel La Belle Juliette, Paris 6e.
Dans la nouvelle aile de la Belle Juliette, la décoratrice Anne Gelbard a choisi de présenter une Juliette moderne, audacieuse, amoureuse de l’avant-garde, mécène, qui aurait « tenu salon » dans un atelier d’artiste. La décoration est faite de meubles design contemporains ou vintage du 20e siècle, de matières inédites, de couleurs un peu bousculées, de sols de bois brûlé façon atelier.
La décoratrice Anne Gelbard joue de toutes les confrontations : matériaux, photographies contemporaines, œuvre inédite de Gezo Marques réalisée à partir de morceaux de bois de récupération pour la tête de lit. Le velours des rideaux et du jeté de lit apporte la note de confort visuel tant par la couleur que par la matière.
Cette chambre aux tons poudrés prend des accents contemporains, confortés par des touches de jaune moutarde distillées sur le textile et la modernité du matériau cuivre.
Dans les chambres en duplex, la décoratrice fait la part belle aux couleurs sourdes et foncées, tel un cocon dans lequel il fait bon se lover. La lumière feutrée fait ressortir le jeu des matières et des volumes. Les rideaux, tout en rondeur et en craquant, ont la volupté d’une cape de cour. Dans la partie salon, des coiffeuses personnalisées années 70 cassent les codes. Les coussins en canevas apportent des touches de couleur pleine d’humour.
A l’hôtel Meyerhold, le parti pris décoratif raconte l’histoire d’une famille avec pour chaque étage, un personnage. L’esprit du lieu vise donc au confort et la générosité d’une maison particulière. Ici, la soie des rideaux se confond à la couleur du mur pour l’unité de ton. Un gris neutre qui se laisse volontiers déranger par les vibrations colorées du textile des sièges et des coussins.
L’esprit 30 de la bâtisse est repris dans l’esprit du mobilier et des accessoires. Le textile jaune illumine totalement la pièce qui s’enveloppe d’un bleu paon très actuel.
Le laiton doré apporte sa touche chatoyante reprise dans la structure géométrique du rideau et du papier peint.
Même jeu graphique dans cette chambre où la matière textile se joue de toutes les fantaisies avec les accessoires.