Vous êtes le plus contemporain, le plus international des tapissiers, comment vos collaborations avec des décorateurs et architectes d’intérieur de renom a t’il fait évolué votre vision du métier ?
Il est vrai qu’à titre personnel, je suis plus attiré par le contemporain même si je continue à baigner dans la culture des 18 et 19ème siècle intrinsèque à l’apprentissage de nos métiers. Ma rencontre avec Philippe Starck a été déterminante en termes de recherche et d’innovation. Il m’a demandé de réaliser des rideaux sans couture et nous avons mis au point le premier rideau à vague, le fameux « wave » ! La complexité de l’exercice m’a passionné par l’émulation et la remise en cause qu’il a suscité. J’ai compris que notre savoir-faire ne pouvait progresser que s’il était confronté à des défis créatifs. De l’art d’associer techniques traditionnelles et innovantes pour se mettre au service de la créativité des architectes d’intérieur, décorateurs et designers, quel que soit les chantiers !
Comment voyez-vous le métier de tapissier aujourd’hui et comment envisager l’avenir ?
Il est bien évident que la façon dont nos ateliers travaillent, est différente de celle du tapissier indépendant. Nous évoluons sur des chantiers patrimoniaux ou contemporains de grande envergure, en France et à l’international, mais je reste confiant pour l’avenir de notre métier en général. D’abord parce que le tissu a toujours été un support de la décoration et qu’il y aura toujours des fenêtres, des murs, des sièges… à habiller. Côté usage, la notion de confort est un incontournable. La qualité d’une assise est essentielle pour assurer sa pérennité et les industriels du secteur ne sont plus au rendez-vous. Alors, faire un canapé sur-mesure est peut-être un luxe mais c’est la marque de fabrique des chantiers prestigieux sur lesquels il n’y a plus que des produits spécifiques travaillés par les meilleurs artisans. Le métier de tapissier exige aussi la connaissance des styles, des tendances et des matières. Faire force de propositions pour le choix des tissus, tringlerie, passementerie, broderie… relève donc de notre expertise. Enfin, nous vivons une époque où le savoir-faire artisanal est sacralisé pour son excellence. C’est un beau retour qui signe l’exclusivité en termes de personnalisation et de travail bien fait. C’est là une posture pour la sauvegarde de notre métier !
Entre tradition et innovation, le savoir-faire est-il toujours le même ?
A première vue, l’épure du contemporain semble plus simple mais elle est bien plus complexe à travailler que les styles. On ne peut la maîtriser que si l’on possède le savoir-faire ancestral du métier de tapissier. L’un sert donc l’autre. Le contemporain profite aussi de la technologie d’aujourd’hui. Nous travaillons le dessin technique avec un logiciel 2D ce qui nous permet de traduire les esquisses des créateurs jusqu’à la maquette en 3D. Forme et volume sont ainsi discutés et travaillés avec le créateur jusqu’à obtenir le résultat souhaité. Si la maîtrise de l’outil informatique nous permet d’évoluer, elle apporte aussi plus d’échange et de confort dans la réalisation.
Quels arguments donneriez-vous au grand public pour pousser la porte d’un tapissier ?
Le grand public doit savoir que derrière la porte d’un tapissier, il s’en remet à un vrai bon pro qui aime son métier et le maîtrise pour l’accompagner. C’est par notre savoir-faire technique que l’on se distingue et c’est en s’appuyant sur ce registre qu’on instaure la confiance. Il ne faut jamais cesser d’expliquer, de montrer et de démontrer. Pour comprendre, le particulier doit interroger et trouver des réponses pertinentes. Alors, peut-être faut-il pousser plusieurs portes avant de trouver la perle. Mais n’est-ce pas aussi le lot de tous les métiers ?!
Par Karine Quédreux